dimanche 6 juin 2010

Vers la fin des billets gratuits ?

Très bon article du journal Les Echos qui explique comment la SNCF a réduit les avantages de ses clients fidèles sans vergogne et sans egard pour leurs usagers (parler de client est exagéré).
A lire sur le journal économique l'article intitulé "Programmes de fidélité : vers la fin des billets gratuits ?"
( Les Echos commercialisant cet article le lien peut aboutir après quelques jours à une zone privée et payante.)
 La copie de l'article est  présente ci-dessous: Source les Echos

Programmes de fidélité : vers la fin des billets gratuits ?[ 04/06/10  ]

Jugées trop onéreuses par les directions financières, voire inefficaces par certains responsables marketing, les politiques de fidélisation mises en place dans les années 1980 sont moins généreuses que par le passé. Pour récompenser leurs clients de façon plus astucieuse, les entreprises privilégient désormais les avantages non monétisables.

Un véritable tollé. Depuis plusieurs semaines, la SNCF se fait copieusement injurier sur différents sites Internet -y compris sur l'un des siens (http://debats.sncf.com). A longueur d'e-mails, des clients lui reprochent d'avoir changé sa politique de fidélisation… sans vraiment y avoir mis les formes. Ces voyageurs très remontés pestent contre le durcissement des barèmes d'attribution et de dépense des S'Miles, ces points gagnés à l'achat du billet de train, que l'on peut convertir ensuite en voyages gratuits.
Les plus en colère ? Incontestablement, les clients professionnels, qui achètent leurs billets au prix fort car ils les veulent échangeables et remboursables jusqu'au dernier moment ; et puis il y a aussi les clients « Fréquence », auxquels l'achat d'une carte d'abonnement donne droit à une réduction de 50 % sur le tarif Pro. Ces deux catégories de voyageurs s'estiment aujourd'hui pénalisées à plusieurs titres. Ils ont d'abord subi ces dernières années des hausses de prix très largement supérieures à l'inflation, et plus importantes que celles appliquées aux tarifs loisirs. Sur certains trains de la ligne Paris-Libourne, par exemple, le prix du billet a bondi de plus de 20 % entre janvier 2007 et mai 2010, en abonnement Fréquence Seconde classe, et celui du coupon annuel d'abonnement, de 10 %. Mais, en plus, ces clients ont découvert en février à la lecture de leurs relevés de S'Miles, sans en avoir été préalablement informés, que le nombre de points susceptibles d'être cumulés sur leur carte de fidélité Grand Voyageur avait été brutalement revu à la baisse. « 1,25 point pour 1 euro d'achat, contre 2 auparavant » en Fréquence Seconde, se désolait ainsi Aurélien, le 9 février dernier, sur le site de la SNCF, ajoutant : « II y a à peine plus d'un an, c'était 4 S'Miles pour 1 euro d'achat en Fréquence Seconde. »
Moins de points, plus de promotions

Un malheur n'arrivant jamais seul, la clientèle a aussi découvert que, parallèlement, il faut acquérir toujours plus de S'Miles pour espérer obtenir un billet gratuit : 4.900 S'Miles par exemple pour un billet Mini-Prime aller-retour Première contre 3.700, il n'y a pas si longtemps. Ou alors, c'est une innovation de la nouvelle grille, 2.900 S'Miles seulement, mais à condition d'ajouter 15 euros de sa poche, c'est-à-dire d'accepter de payer pour un billet… offert ! A ce rythme, les quelque 2.500 places gratuites attribuées chaque jour par la SNCF -environ 1 % de son offre -devraient être sérieusement écornées dans un proche avenir.
Directeur commercial, marketing et systèmes d'information de SNCF Voyage, la branche en charge des trains grandes lignes, Pascal Delorme assume. « Compte tenu du panier moyen d'un passager ferroviaire, nettement plus faible que celui d'un voyageur aérien, nous étions allés trop loin dans la générosité », affirme-t-il, replaçant la problématique dans un cadre commercial plus large. Ainsi, « les abonnés Fréquence ont bénéficié de trois promotions l'an dernier ». Pascal Delorme évoque par ailleurs les efforts de la SNCF pour étendre le nombre de trains accessibles aux tarifs promotionnels Prem's, « une politique plus intéressante pour nos clients que de distribuer des points ».
De fait, l'entreprise ferroviaire n'est pas la seule à repenser sa politique de fidélisation. Crise oblige, les compagnies aériennes, elles aussi, ont durci les conditions d'attribution des miles permettant d'obtenir des billets gratuits. Mais d'une manière plus feutrée. Ainsi chez Air France-KLM, le nombre de points attribués demeure acquis à vie (par comparaison, ils ne sont valables que trois ans à la SNCF), même s'il faut pour cela voyager plus souvent que par le passé : au moins une fois tous les vingt mois désormais, contre un vol payant tous les trente-six mois il y a encore deux ans. Quant au nombre de billets gratuits émis (ils coûtent quand même au passager, car il doit s'acquitter des taxes d'aéroport et des surcharges carburant), il n'a pas été revu à la baisse : « Ils représentent 4 % des sièges, soit près de 7.000 places, de quoi remplir 13 Airbus A380 ou 40 A320 par jour », souligne Patrick Roux, le directeur marketing d'Air France-KLM, précisant que ce pourcentage « est un peu le standard de l'industrie aérienne ». Pour lui, « il est nécessaire de veiller à une grande stabilité dans le barème des miles », au risque, sinon, de s'aliéner la clientèle. Il est vrai qu'Air France-KLM peut se le permettre. Grâce à l'alliance SkyTeam, le groupe dispose d'un réseau très étendu de 108 partenaires aériens et non aériens, assurant l'autofinancement de son programme de fidélisation. Les dépenses générées par l'émission d'un billet gratuit au profit d'un passager d'Air France ou de KLM sont en effet compensées par les recettes provenant d'un partenaire, par exemple Delta Air Lines ou Kenya Airways, quand ce dernier achète à la compagnie française un billet destiné à l'un de ses voyageurs fidèles.
Des informations sur le client

Violent, façon SNCF, ou plus en douceur, comme chez Air-France-KLM, le virage pris laisse-t-il présager la disparition des avantages financiers consentis aux meilleurs clients ? Certains en rêvent. En particulier au sein des directions financières, car l'émission à venir de billets gratuits doit être comptabilisée selon des règles très précises, et pour des montants souvent significatifs. Mais aussi chez certains spécialistes du marketing, notant par exemple que les compagnies aériennes à bas coûts n'ont jamais développé de programmes de fidélisation, ce qui ne les empêche pas de tailler jour après jour des croupières aux compagnies traditionnelles grâce à leurs tarifs imbattables. Par ailleurs, les comportements d'achat induits par Internet ont changé la donne : « Quand un individu surfe sur un comparateur de prix avant d'acheter un billet, il vaut mieux pour l'entreprise être moins chère que la concurrence, plutôt que distribuer des points qui seront utilisés plus tard », estime Pascal Delorme à la SNCF.
Senior Partner chez Roland Berger Consultants, Delphine Mathez se demande pour sa part si les adhérents à un programme de fidélité achètent réellement plus que les autres. La réponse n'est pas évidente. Selon elle, la généralisation de tels programmes contribue à figer les parts de marché dans certains secteurs, tout en développant une mentalité de « chasseurs de primes » chez des clients dont une bonne partie était déjà acquise à la marque. Bref, de plus en plus d'acteurs sont convaincus qu'un programme de fidélité reposant sur la distribution d'avantages financiers pour le client coûte cher, et rapporte peu. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que les directions générales décident de resserrer les boulons.
Pas question pour autant de jeter le bébé avec l'eau du bain. Car un programme de fidélisation bien géré donne accès à une ressource inestimable : les données personnelles du client, et ses habitudes de consommation. C'est d'ailleurs pour cette raison que les compagnies aériennes, au premier rang desquelles le pionnier American Airlines, s'étaient lancées dans l'aventure au début des années 1980. A l'époque, la majorité de leurs transactions passait par l'intermédiaire d'un agent de voyage. C'était donc lui qui détenait les données du passager, et non le transporteur. Or, une fois muni de ces précieux renseignements, ce dernier peut faire beaucoup de choses : créer de nouveaux services permettant de mieux traiter le client (par exemple, signaler par SMS et en temps réel au voyageur aérien que son vol sera en retard, ou que son bagage égaré a été retrouvé), et même inventer de nouveaux produits. « Dans le cadre de notre programme Flying Blue, nous disposons d'un panel de plus de 10.000 adhérents acceptant de répondre à des questionnaires en ligne, explique ainsi Patrick Roux, chez Air France-KLM. Cela nous a grandement aidés à concevoir notre nouvelle classe Premium Voyageur », un produit intermédiaire entre les classes Affaires et Economique, destiné à compenser l'effondrement du remplissage de la classe Affaires en long-courrier, consécutif à la crise économique.
Des avantages non monétisables

Mais comment accéder aux données des clients fidèles et les faire fructifier, tout en endiguant l'inflation des miles, S'Miles et autres remises en tout genre ? Pour résoudre cette équation, les entreprises mettent de plus en plus l'accent sur des avantages non monétisables, comme, dans l'aérien, l'accès à un salon d'attente réservé ou à un guichet prioritaire pour passer les formalités de police en aéroport. Dans un tout autre domaine, le distributeur de jeux vidéo Micromania explore de nouvelles pistes, en invitant par exemple, chaque automne, ses meilleurs clients à découvrir en avant-première les jeux qui seront mis en vente à Noël. Chaque partie y trouve son compte : le client invité est flatté de ce traitement VIP. Au vu de ses réactions, l'éditeur du jeu peut apporter d'ultimes retouches à son produit avant le lancement. Quant à l'enseigne elle-même, elle tire de cette confrontation entre le joueur et l'éditeur de précieux enseignements lui permettant d'anticiper le succès de tel ou tel jeu, et d'optimiser ainsi ses prises de commande.
Pour autant, Micromania n'a pas renoncé à l'aspect purement monétaire de son programme de fidélité. « Quand nous avons repensé notre système, nous n'avons pas touché aux "acquis sociaux", tels les 5 % de remise différée sur les jeux et accessoires », témoigne Matthias Boudier, directeur marketing du groupe, pour qui « l'on ne peut pas faire l'économie de la partie purement transactionnelle d'un programme de fidélité », compte tenu de la concurrence des autres distributeurs.
Dans cette quête d'une récompense plus astucieuse du client fidèle, la SNCF n'est pas en reste : « En contrepartie de nos baisses de barèmes, nous allons développer des services », promet Pascal Delorme, refusant cependant d'en dire plus pour ne pas donner d'informations à ses futurs concurrents, le jour où l'entreprise aura perdu son monopole sur le trafic voyageurs grandes lignes dans l'Hexagone. Un « big bang » inéluctable, mais dont la date n'est pas encore fixée. Encore en grande partie captive, sa clientèle Grand Voyageur doit donc, en attendant, se défouler sur les forums Internet et pleurer ses S'Miles perdus. En constatant au passage que la partie services est, pour l'heure, réduite à sa plus simple expression. Sur l'ensemble du territoire, il existe en tout et pour tout dix salons Grand Voyageur dans les gares de la SNCF. Ouverts tous les jours. Sauf les samedis, dimanches et jours fériés…
CLAUDE BARJONET, Les Echos

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